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AVANT-PROPOS
Remarques sur la méthodologie
Il semblerait qu’une femme créole de Cayenne, capitale de la Guyane
française, ait gravé les tout premiers exemples de français créole (à
savoir un conte et une chanson) sur cylindre, dans une série d’enre-
gistrements linguistiques réalisée par l’anthropologue français Léon
Azoulay pour le compte du Musée Phonographique de la Société d’An-
thropologie, durant l’Exposition universelle de Paris en 1900. Au mois
d’août 1914, la firme Victor Talking Machine organisait une expédi-
tion vers l’île de la Trinité, à l’époque partie intégrante des Antilles
britanniques, afin de «dresser un inventaire complet de la musique
in-
digène
, comportant les
calypsos
, les
paseos
, les
valses espagnoles
, les
two-
steps
et les chansons en patois ou en créole interprétées par les artistes
locaux
1
», et il est vraisemblable que les
calypsos
et les chansons en «pa-
tois» recueillies durant les sessions d’enregistrement du mois de sep-
tembre constituèrent les premiers enregistrements commerciaux de
musique franco-créole jamais réalisés aux Antilles.
Les calypsos comprenaient quatre exemples
«single tone»
et deux exem-
ples
«double tone»
du genre, chantés en anglais et en français créole
par J. resigna (ou Iron Duke), c’est-à-dire Henry Julian, chef d’or-
chestre et compositeur très respecté dont la troupe de mascarade
White Rose
avait dominé le carnaval de Port-of-Spain au tout début du
XX
e
siècle. Les
Single Tone Calipsos
(remarquons la variante orthogra-
phique) comportaient quatre vers par strophe et étaient à l’origine
chantés en créole, alors que les
Double Tone Calipsos
, avec des strophes
de huit vers dont le premier était répété dans la séquence d’intro-
duction, étaient interprétés en anglais.
Au moins l’un de ces enregistrements de
Single Tone Calipso, Belle Marie
Coolie
(Victor 67035), s’est trouvé intégré au répertoire de la Marti-
nique. Victor avait enregistré deux chants en
patois
, ou plus exacte-
ment deux
Native Trinidad Kalendas
– chants accompagnant les
combats au bâton avec des percussions (
bamboo tamboo
) de tubes de
bambou, chantés en créole par Jules Sims:
Ou Belle Philomene
(Victor
67033) et
Bagai Sala Que Pocheray Moin
(Victor 67377). Lors de ces
mêmes sessions, le pianiste et chef d’orchestre Lionel Belasco grava
dans la cire de nombreuses
valses espagnoles
et
paseos
de Trinidad, dont
plusieurs furent édités commercialement. La diffusion de ces faces
aux Antilles même fut probablement limitée par la déclaration de la
première guerre mondiale, mais les enregistrements ultérieurs de Be-
lasco connurent une grande popularité dans l’ensemble de la région.
C’est en 1924 que l’anthropologue Elsie Clews Parsons entreprit la
première d’une série d’expéditions aux Caraïbes qui devaient l’ame-
ner à recueillir des légendes et des chants populaires au moyen d’un
enregistreur de cylindres. Commençant par Trinidad, où elle apprit le
créole, elle réunit 37 exemples dans cette langue sur un total de 58
légendes publiées dans le premier volume de son anthologie en trois
tomes,
Folklore Of The Antilles, French And English
. remontant vers le
nord, elle se rendit probablement à la Grenade et Carriacou avant
d’atteindre Sainte-Lucie, recueillant sur chaque île une collecte de
contes en créole et en anglais. De là, elle voyagea jusqu’à la Marti-
nique où elle recueillit 95 contes et variantes en créole. Elle résidait
au Morne rouge, dont était originaire la majorité de ses 27 interlo-
cuteurs, bien que certains fussent du Lorrain (Grand Anse), et un ou
deux de Saint-Pierre et de Fort-de-France. Ces extraits constituaient
probablement dans une large mesure les premiers exemples sonores
de la tradition franco-créole de l’île mais, malheureusement, la tota-
lité des cylindres de Parsons est aujourd’hui réputée détruite et aucun
inventaire n’a pu être retrouvé. En 1925, Parsons poursuivit ses en-
registrements en Guadeloupe où, dans de nombreuses localités et à
partir de nombreux témoignages (37), elle recueillit 138 contes et
leurs variantes. La même année, elle poursuivit son périple vers le
nord. Parmi les régions visitées en 1926-27 figuraient les petites îles
francophones de Marie-Galante et des Saintes. Les trois volumes de
folklore antillais compilés par Parsons et publiés à New York par
l’American Folklore Society
, respectivement en 1933, 1936 et 1943, in-
cluent la première étude comparative des contes populaires de la ré-
gion. De par sa diffusion limitée, cette ressource demeure cependant
sous-exploitée.
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A l’issue de la première guerre mondiale, les firmes de disques 78
tours organisaient fréquemment le déplacement des interprètes vers
les centres urbains afin d’enregistrer des sélections de styles régio-
naux: Paris, Londres, et New York sont fréquemment mentionnées
dans cette discographie. Durant les années vingt, en ce qui concerne
les Antilles britanniques, c’était à New York que les résidents origi-
naires de Trinidad enregistraient leur répertoire à l’intention de leurs
compatriotes immigrés, ainsi que pour l’exportation. Une formule
identique fut adoptée pour l’enregistrement de la musique vernacu-
laire des Antilles françaises à Paris en 1929. Elle avait été précédée
par l’enregistrement en 1926 d’échantillons sonores en langue créole
pour le compte des Archives de la Parole de l’Université de Paris,
conservés sous la forme de 78 tours pressés par Pathé. Ce fut cepen-
dant la session d’octobre 1929 de
L’Orchestre antillais, direction M. Stel-
lio
qui constitua le point de départ des enregistrements commerciaux
de musique antillaise à Paris. La capitale de la France est demeurée
jusqu’aux années 1950 la ville où se tenaient la plupart des sessions
d’enregistrement de musique franco-antillaise, et où les disques
étaient réalisés: ces pressages constituent l’essentiel de cette disco-
graphie.